• 1 septembre 2016
  • 3  min

« Une société heureuse n’a pas besoin de romancier »

Ecrivain, essayiste, tribun, poète, peintre, Tahar Ben Jelloun multiplie les formes d’expression depuis toujours… et les engagements. Né à Fés, étudiant au lycée français de Tanger, il est envoyé dans un camp disciplinaire de l’armée en 1966 pour avoir organisé des manifestations. Libéré au bout d’un an et demi, il reprend des études de philosophie puis devient enseignant en lycée. Il publie son premier texte, un poème, en 1968. En 1971, il part à Paris pour poursuivre des études de psychologie et devient pigiste au Monde. Son premier roman, Harrouda, est publié par Maurice Nadeau chez Denoël. Il obtient le prix Goncourt pour La nuit sacrée en 1987. Il écrit également des livres à vocation pédagogique, comme Le racisme expliqué à ma fille (Seuil 1998) ou L’Islam expliqué aux enfants (Seuil 2002). Son dernier ouvrage, Le terrorisme expliqué à nos enfants est sorti le 25 août..

Pourquoi avoir choisi d’écrire sur le thème du terrorisme?

Tahar Ben Jelloun : C’est un livre que j’ai senti nécessaire. Je me trouvais en Normandie le 13 novembre. J’ai commencé à recevoir sur mon portable des messages de toutes parts pour me demander si mes enfants allaient bien. J’ignorais totalement ce qui était en train de se produire. J’ai suivi les informations, j’ai vu ces familles endeuillées. J’ai pensé aux frères et sœurs de ces jeunes qui venaient de mourir, qui auraient besoin d’explications. C’est un livre que j’ai mis six mois à écrire, il me fallait trouver les termes justes et précis. J’y aborde des thèmes qui sont des questions récurrentes parmi les lycéens et collégiens que je rencontre : quelle différence entre la résistance et le terrorisme ? Pourquoi la société française ne semble pas se mobiliser autant pour d’autres conflits, comme ce qui se passe en Palestine par exemple ? J’essaie de faire un travail pédagogique pour sortir les élèves – et leurs parents – de la confusion.

En tant que membre de l’Académie Goncourt, comment voyez-vous le paysage littéraire français de cette rentrée ?

T.B.J. : Je suis certain que beaucoup de livres vont dépeindre une France fatiguée, en crise, un pays dans une impasse politique, au système social dépassé, dans lequel les hommes politiques s’intéressent plus à leur carrière qu’à l’intérêt général. Bref, un vrai paysage balzacien ! Avant, la France était le pays de l’ouverture au monde. Les grands penseurs faisaient descendre les gens dans la rue pour des manifestations contre la guerre d’Algérie ou la situation au Vietnam. Ces intellectuels faisaient bouillir la marmite de la pensée et de l’intervention. La France n’est plus ce foyer de l’indignation. La peur du chômage a rendu les gens intolérants. Comme le disait l’une de mes amies, la lutte des classes a été remplacée par la lutte des places. C’est cette réalité que décrit aujourd’hui la littérature actuelle, très axée sur la France et ses difficultés. L’écrivain est là pour peindre ces tourments. Une société heureuse n’a pas besoin de romancier…

Vous faites partie de l’organisation Human Rights Watch. Est-ce aussi pour vous une manière de maintenir un niveau d’engagement et de vigilance dans ce climat pesant?

T.B.J. : En effet, j’appartiens au comité de Paris de HRW depuis sa création. Cette organisation fait un travail extraordinaire grâce aux chercheurs qui sont sur le terrain et nous rapportent des documents d’une valeur inestimable. Je regrette parfois que l’on ne s’engage pas encore davantage sur certains sujets. En France, discuter de la situation en Palestine est une gageure. Pourtant, là aussi la parole et le dialogue sont nécessaires. C’est d’ailleurs ce que je réponds aux collégiens qui m’interrogent à propos de mon livre sur le racisme. « Cela ne sert à rien, le racisme est toujours présent », disent-ils. Cela ne m’empêchera jamais de continuer à faire œuvre de pédagogie et d’expliquer, toujours expliquer.

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