• 2 avril 2012
  • 4  min

Stéphane Rozès, président de Cap, enseignant à HEC et Sciences Po

Wellnews donne ce mois-ci la parole à Stéphane Rozès, chargé d’études à l’Institut BVA, puis ingénieur en chef chargé d’études à la SOFRES, et, durant 17 ans, Directeur général de l’Institut CSA. Stéphane Rozès est désormais président de Cap, enseignant à HEC et Sciences Po et travaille essentiellement pour de grandes entreprises, des pays et des collectivités territoriales. Rencontre avec un consultant prolixe.

Après avoir été Directeur général de l’institut CSA, vous avez fondé Cap, Conseils Analyses et Perspectives. En tant qu’expert de l’opinion, quelle vision avez-vous de la campagne présidentielle en cours ?
Les Français sont plutôt déçus de cette campagne qu’ils suivent pourtant avec beaucoup d’attention.

C’est une autre façon de dire que, dans notre pays, il est nécessaire d’établir une distinction entre le jugement de nos compatriotes à l’égard de la politique, c’est-à-dire des « acteurs politiques » et de la manière dont se forme la scène politique et le rapport au politique qui lui est un rapport vital tenant ensemble la société. Même si la qualité des hommes politiques, du débat politique et l’efficacité de l’Etat sur le cours des choses ne sont pas au rendez-vous, la symbolique du politique demeure.

Cette distinction permet de comprendre ce contraste paradoxal entre le jugement négatif ou la déception à l’égard de la campagne et le fait que cette campagne ait néanmoins quelque chose de décisif.

Une campagne présidentielle ne se limite pas au choix d’un Président de la République mais elle a d’abord pour vocation de réactiver ce que j’appelle l’imaginaire français.

L’imaginaire, c’est la façon dont les individus et les peuples se construisent un rapport au réel, à partir de mises en perspective de leurs représentations.
L’imaginaire français se construit depuis des siècles au travers de la question décisive qui est de savoir comment, au travers du rapport à la nature et aux autres, définir ce que l’on a à faire ensemble (en tant que Français) alors que notre histoire et notre présent sont une mosaïque de réalités distinctes. Chez nous, c’est le politique qui a la charge, au travers du débat, d’encastrer les diversités qui nous sont consubstantielles, ce dans une projection commune dont on se dispute le contenu.

Par exemple, lors de la présidentielle de 2007, c’est parce que momentanément l’Europe n’était plus la « France en grand » qui encastrait notre imaginaire, que le pays s’est précipité aux urnes, comme dans les années 1960, pour remettre à l’Elysée le lieu de notre incarnation au travers de deux personnes : Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.

L’enjeu de 2012 pour les Français est de savoir si la mondialisation telle quelle est, et a fortiori après la crise de la dette souveraine qui remet en cause le politique et la façon d’être et de faire de Nicolas Sarkozy, il y a encore un avenir pour notre pays. Savoir en quelque sorte si l’on peut échapper au dilemme suivant: périr par conservatisme de ce que nous sommes ou survivre en renonçant à ce que l’on est.

Quand le politique n’est pas en mesure de répondre à l’ampleur de cette question de ce que nous avons à faire ensemble, le pays va chercher d’autres types de substituts, notamment auprès des entreprises. On va ainsi leur demander, pour résoudre les contradictions qui traversent chaque individu au travers de l’acte d’achat de biens et de services, d’assurer que lorsqu’elles produisent, cela n’entre pas en contradiction avec l’idée que l’on se fait de ce qu’est l’intérêt général et de l’avenir de la planète. Il s’agit également de résorber la tension qui existe entre, d’une part le consommateur qui veut se distinguer et, d’autre part, le salarié qui redoute les effets de la globalisation et de sa consommation.

D’où les investissements symboliques tout à fait caractéristiques des Français par rapport à d’autres pays, parce que l’imaginaire français est distinct des autres pays sur la question de « qu’est-ce que l’entreprise a à faire ou à dire » : quelle est sa contribution ? D’où l’importance chez nous du « corporate ».

Justement, vous êtes également expert du mécénat d’entreprise et avez notamment participé à la réalisation d’une étude sur les attentes des annonceurs en matière d’engagement sociétal, pouvez-vous nous livrer les principaux enseignements de cette étude ?
(ndlr : Présentation de la nouvelle étude de l’Admical pour le nouveau baromètre, le 2 avril, 4ème baromètre)

Un des principaux enseignements, c’est la tension apparente entre la pression de la Société sur les entreprises pour qu’elles fassent la démonstration que réellement elles s’occupent de l’intérêt général et la baisse des budgets alloués au mécénat.
En un mot, ce baromètre 2012 d’Admical nous dit que le nombre d’entreprises mécènes a augmenté mais que le budget total investi a baissé du fait de la crise.

Le succès croissant du mécénat et son attente vient de ce que les consommateurs sont avides de preuves. Or le mécénat est une forme de communication par la preuve. A ce titre, les responsables d’entreprises pensent que le mécénat va gagner en importance dans les prochaines années.

Enfin, le mécénat c’est agir auprès de « Tiers » qui œuvrent pour l’intérêt général et c’est cette action et ces partenaires qui sont des témoignages de l’empreinte sociétale, sociale et environnementale des entreprises dans une période où deux consommateurs sur trois ne croient plus les communications des entreprises. Ceci alors même que ces celles-ci s’efforcent, depuis une petite décennie, de communiquer davantage sur leurs valeurs que sur leurs produits (baromètre UDA).

De nouveaux projets pour 2012 ?
Trouver du temps. Depuis que j’ai fondé Cap, je croule un peu sous le travail. Il consiste à aider mes clients à trouver des cohérences entre leurs identités, leurs messages et leurs conduites effectives, ce qui demande de la profondeur et de l’écoute, en un mot du temps. C’est du sur-mesure et c’est la raison pour laquelle je ne travaille que pour un nombre limité de clients. Pour eux, je suis attentif aux publics qui les environnent et à leurs logiques spécifiques alors que les études des entreprises tout comme le modèle économique des instituts de sondage industrialisent les outils de mesure ce qui appauvrit la compréhension des mécanismes de comportements.

En outre les communicants, dans la tradition française, ont tendance à voir les problèmes du point de vue de leur intelligence ou du point de vue de la création : ils ne s’intéressent pas tant que ça aux personnes à qui l’on s’adresse.

De fait, entre les instituts et les grandes agences il y a une place pour des artisans de luxe… Les études auprès des citoyens, des salariés et des consommateurs m’ont fait comprendre qu’il y avait une façon qui nous était propre de penser, créer, travailler et consommer. Tel est l’objet de mes enseignements et de mes missions.

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