• 2 juin 2014
  • 4  min

Le numérique au service d’un lobbying responsable

par Jean-François Pascal Responsable du pôle Communication et Affaires publiques de l’agence Wellcom

 

Parmi les mots qui ont mauvaise presse et les professions dotées d’une aura douteuse, figurent en bonne place ceux de « lobbying » et de «lobbyiste ».

Le terme désigne les actions d’influence conduites par des représentants d’intérêt auprès des pouvoirs publics. Concrètement, il s’agit d’intervenir dans le processus de décision publique, dans l’élaboration des lois et des normes, afin de transmettre des informations et faire valoir des intérêts. Les représentants d’une profession, une association d’usagers ou encore une organisation non gouvernementale peuvent ainsi faire entendre leurs voix dans la construction des politiques publiques.

Quelles sont les raisons du discrédit qui pèse sur la profession ?

La profession elle-même ! Ou plutôt les pratiques d’un « lobbying à la papa » qui tend précisément à disparaître. Ce lobbying confond l’influence avec la manipulation, se déploie dans l’opacité et réfléchit en terme de contreparties. Il prospère sur un carnet d’adresses, des obligés et des rencontres plus ou moins clandestines. Avec ce type de lobbying, les théories du complot trouvent un inespéré grain à moudre. De manière plus problématique le rejet du lobbying se nourrit aussi de préjugés intellectuels et culturels. Il y a dans notre tradition (et cela vaut beaucoup moins pour le monde anglo-saxon) un a priori ancré : il existerait une pureté du politique et de la chose publique qui ne saurait qu’être contaminée par toutes les expressions individuelles. Ce présupposé veut que l’intérêt général s’oppose par principe aux intérêts particuliers. Le législateur devrait ainsi légiférer en totale autonomie…Or le prix de cette indépendance radicale, qui est une pure position de principe, est bien évidemment l’ignorance des réalités que l’on prétend pourtant organiser et normer. Comment réglementer par exemple une profession si l’on ignore tout de ses réalités techniques, économiques, sociales et  juridiques ? En ce sens avant d’être une défense « d’intérêts », le lobbying est d’abord un partage d’informations et un retour d’expériences. Afin d’être la meilleure possible, la décision publique doit être la plus informée possible. Il s’agit, en effet, de déterminer, par l’analyse et l’argumentation, l’expression optimum de l’intérêt général. Se dessine ainsi un nouvel espace démocratique construit à travers la confrontation réglée des faits, des intérêts et des points de vue. Or le numérique constitue un puissant accélérateur dans ce processus. Parce qu’il démultiplie l’accès à l’information et permet la participation, il apparaît comme un catalyseur. Il contribue fortement à l’émergence d’un lobbying responsable et ce faisant dynamise la vie démocratique. Le collectif Regards Citoyens (déjà à l’origine de NosDéputés.fr) et l’association Transparence International France se sont ainsi associés pour mettre au point un outil collaboratif de recensement des lobbyistes auditionnés par les parlementaires. Plus de 1000 rapports parlementaires ont été passés en revue grâce à l’aide de plus de 3 000 internautes. Entre juillet 2007 et juillet 2010, 9 300 auditions, de près de 5 000 organismes, représentés par plus de 16 000 personnes, ont ainsi été recensées.

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Cette exigence accrue de transparence a poussé le législateur lui-même à clarifier et préciser les règles d’actions des représentants d’intérêts auprès du parlement.

L’Assemblée Nationale vient ainsi de lancer un nouveau registre en ligne plus exigeant.

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Désormais chaque représentant d’intérêt déclare à travers cet outil l’identité des intervenants, ses modalités d’action et jusqu’au « chiffre d’affaire lié aux activités directes de représentation d’intérêts effectués pour le compte de client auprès du Parlement ».

L’ensemble se fait aujourd’hui sur une base volontaire et déclarative. On ne peut évidemment manquer de comparer les un peu moins de 130 représentants actuellement inscrits avec les 5 000 organismes recensés par l’outil collaboratif. Mais quoi qu’il en soit le mouvement est inéluctable et s’accélère. Ainsi Contexte, le journal en ligne des politiques publiques françaises et européennes vient de lancer un projet de base de données expérimental sur le lobbying. Contexte positions, lancé en partenariat avec Transparency International France, recense et classe les contributions des groupes d’intérêts dans le débat public français et européen.

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Grâce à une veille quotidienne et à une indexation qui ira croissante, plus de 400 organisations sont ainsi répertoriées. Sur un sujet comme le gaz de schiste, il est ainsi possible, selon Chloé Moitié, directrice de Contexte, « d’obtenir les prises de position de Total, de l’Union française de l’industrie pétrolière, de Greenpeace, etc. ».L’outil est aussi participatif puisqu’il permettra de publier des contributions ce qui permettra d’enrichir la base de données et constituera en soi un acte de lobbying.

Accessible gratuitement à tous, professionnels, élus comme simples citoyens, cette base de données vient naturellement compléter tous les outils numériques en permettant de mieux rendre lisible et compréhensible la genèse de la  décision publique. Aidé par le numérique, par l’essor du travail collaboratif en ligne et le développement des réseaux sociaux, un nouveau lobbying, responsable, se développe. Il s’agit d’un lobbying d’expertises et d’arguments vis-à-vis des projets de normes qui permettra d’améliorer la décision et les politiques publiques.

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