• 11 juin 2021
  • 3  min

Marjorie Paillon : “La crise nous prouve que l’économie est une matière vivante”

Marjorie Paillon, journaliste et présentatrice de Tech 24 tous les vendredis sur France 24, nous partage son analyse d’un univers, le numérique, qui n’a plus de secret pour elle et revient sur les grandes tendances qui ont fait l’année. 

Avec la crise sanitaire et économique que nous traversons, assiste-t-on selon vous à une transformation digitale en France ? 

Plus que jamais ! C’est un poncif de dire que nous avons vécu 2 ans de transformation digitale en 2 mois au printemps 2020. Le mouvement est mondial et traverse toutes les industries. Les usages se sont installés, certes à marche forcée, mais ont aussi permis de booster nos potentiels de créativité et d’adaptation. On a longtemps voulu dresser le portrait d’une transformation numérique darwinienne, caricaturant certaines entreprises en dinosaures de l’innovation. Cette crise donne un revers à ces idées reçues, elle nous permet de trancher dans le vif du numérique. Désormais, on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt pour appuyer sur le bouton du restart tant attendu. Elle nous oblige à apporter de vraies réponses aux questions que nous nous posions avant 2020. Pour les entreprises par exemple : faut-il briser les silos, adopter une vision holistique de son organisation, mettre en avant les talents dans toutes leurs diversités… Oui, 3 fois oui ! Dans un monde où l’imprévu est la nouvelle norme, l’accélération numérique se fait en temps réel. L’économie est une matière vivante et cette crise protéiforme nous le prouve encore aujourd’hui. 

 

Les Français ont-ils changé le rapport qu’ils avaient à la tech ?

Nous avons pris conscience depuis plusieurs années que nous ne sommes pas uniquement des utilisatrices et utilisateurs des solutions technologiques, mais aussi des citoyennes et citoyens du numérique. Nous questionnons notre rapport aux technologies, interpellons les entreprises du secteur et les rappelons à leurs engagements. Le terme ‘Big Tech’ est devenu presque une insulte aux Etats-Unis et pour une bonne raison. Les plateformes se sont muées en majors des données, franchissant allègrement le Rubicon de la privacy. Dans un monde sans frontières, nous avons besoin de repositionner celle entre nos vies numériques et nos vies hors-ligne. Reprendre la main sur nos data notamment. De Bruxelles à Washington, les gouvernements et instances de régulation essaient de remettre de l’ordre dans un monde numérique qui s’est longtemps cru inarrêtable au nom de la sacro-sainte innovation. Je me risquerai à paraphraser Rabelais en disant que numérique sans conscience n’est que ruine de l’âme. Nous, citoyennes et citoyens du numérique devons nous emparer de ce changement de logiciel culturel et démocratique.  

 

Vous êtes journaliste depuis plus de 15 ans et officiez aujourd’hui sur France 24. Quel regard portez-vous sur l’information télévisuelle aujourd’hui ? De quoi sera faite celle de demain ?

Nous avons vécu plusieurs saisons télévisuelles où un fait était challengé parce qu’il était un simple fait. Le journalisme est plus que jamais un sport de combat… mais pour aller au-delà des idées reçues. Notre métier, me semble-t-il, est de présenter autant d’angles et de réalités possibles sur un sujet pour que nos auditeurs, téléspectateurs ou lecteurs puissent se faire leur propre opinion. Nous devons plus que jamais être dans l’échange, la confrontation des points de vues, la mise en perspective, notamment avec une longue saison politique qui s’annonce en France, entre la campagne présidentielle et la présidence française de l’Union Européenne. L’information doit plus que jamais revenir à son sens premier : montrer, décrypter, donner la parole. On a peur en général de ce qu’on ne comprend pas. A nous de jouer ce rôle de passeur, de média. 

 

Entre l’arrivée de ClubHouse en début d’année et l’essor du podcast, la voix semble être le nouveau média plébiscité par les Français. Comment analyser cette nouvelle tendance ? 

La voix, c’est le plus vieux média du monde ! L’audio social a le vent en poupe, et ce quel que soit son format : réseau social, podcast, assistant… La voix, c’est à la fois ce qui révèle une part d’intime et qui laisse la place à l’imagination. Et c’est aussi de façon plus pragmatique le média du multi-tasking. On peut tout faire en mobilité grâce à la voix. La ClubHouse-mania du début 2021 a montré ce besoin d’échanges directs, sans le filtre de l’image, et de discussions en live. Débattre, s’exprimer, écouter, donner son avis, prendre part à la conversation, et ce, toutes générations confondues. Mais aussi ce besoin de s’extraire du prisme des ‘majors’ des réseaux sociaux dont je parlais tout à l’heure. Facebook et Twitter ont pourtant lancé leurs applications audio concurrentes, mais elles n’ont pas pour l’instant su capitaliser sur le même succès. L’ouverture de ClubHouse aux utilisateurs Android, et les multiples questions liées à l’hébergement et l’utilisation des données a peut-être dilué l’attraction de départ. Reste une interrogation : l’avenir appartient-il aux micro-réseaux sociaux, plus respectueux de notre privacy, nous proposant des sujets et mises en relations plus qualitatives ? Affaire à suivre… 

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