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Tonie Behar : « La comédie romantique accompagne les femmes dans leur émancipation »

La comédie romantique est souvent associée à de nombreux clichés. Comment travaillez-vous à renverser la tendance ?

Le modèle de référence de la comédie romantique a été défini par Orgueil et Préjugés, de Jane Austen. Dans ce roman, c’est la première fois qu’apparaît le personnage du beau et riche ténébreux (Mr Darcy), qui ne prête pas attention à la jeune femme modeste mais charmante (Elizabeth). La grande modernité d’Austen à l’époque, c’était de montrer une femme qui refuse le mariage que ses parents ont prévu pour elle. Puis, ce modèle a été décliné à l’infini avec plus ou moins de succès, et ces deux personnages sont devenus des archétypes. Ce qu’on peut reprocher à certaines comédies romantiques aujourd’hui, c’est de trahir cette modernité en mettant en scène des femmes qui rêvent à tout prix de mariage, et avec un homme plus fortuné. L’amour est un grand sujet dans la vie, mais il y a différentes façons de s’aimer, sans forcément se marier. Pour moi, la comédie romantique doit aborder des sujets de société, et accompagner les femmes dans leur émancipation. 

Quelles sont les valeurs qui vous inspirent et que vous souhaitez véhiculer à travers la fiction ?

Pour mon dernier roman, je me suis plongée dans les années 60. Elles me fascinent car elles ont donné naissance à une génération qui s’est émancipée de tous les carcans qui lui étaient imposés avec Mai 68, le droit à l’IVG, les droits LGBT… Le mouvement hippie défendait l’amour libre et questionnait tous les fondamentaux de l’époque, mais ce sont des questions qui nous interrogent encore aujourd’hui. Par-là, j’aime engager des réflexions sur la construction du couple moderne : comment être ensemble sans étouffer l’autre, comment l’aimer sans renoncer à ses rêves ni à ses valeurs, et en suivant son propre chemin ? Un couple peut-il casser les codes sans pour autant se briser ? J’ai utilisé la fiction pour porter ces questionnements car elle permet de les illustrer à travers le chemin de vie concret d’un personnage. Mais c’est avant tout une grande et belle histoire d’amour. 

Vous êtes une ancienne journaliste. Pourquoi être passée de l’écriture de l’information à l’écriture de la fiction ? Dans quelle mesure ces deux types d’écriture se rapprochent-ils ? 

J’ai toujours voulu écrire des romans, et mes précédentes expériences d’attachée de presse, de journaliste et de rédactrice ont été pour moi des tremplins. C’est grâce à ce parcours que j’en suis là aujourd’hui. Par exemple, mon dernier roman propose une plongée historique de la France aux Etats-Unis, et j’ai mené une véritable enquête journalistique. J’ai interviewé de nombreux interlocuteurs, des producteurs d’Hollywood aux marchands d’art en passant par les musiciens, lu beaucoup de livres et regardé beaucoup de vidéos. Je veux que tout ce que je raconte soit juste : la façon de parler ou de s’habiller des personnages, les expressions qu’ils utilisent, la date du concert que je mentionne, le prix du billet d’avion… J’aime ancrer mes romans dans le réalisme, et c’est aussi la raison pour laquelle ma saga Grands Boulevards* se déroule dans ce quartier parisien si vivant. Au 19ème siècle, c’était l’endroit où tout se passait, où tout le monde se mélangeait. C’est aussi là qu’est né le théâtre de boulevard et qu’a eu lieu la première projection de cinéma. Avant la construction de la Tour Eiffel, les Grands Boulevards étaient l’incarnation d’un certain esprit parisien. Encore aujourd’hui, ce quartier représente pour moi le lieu de la mixité réussie. 

Les marques devraient-elles s’inspirer de l’écriture des romans pour construire leur storytelling ?

Ce qui est important pour moi dans l’écriture d’un roman, ce sont les personnages : une fois qu’on s’y attache, tout ce qu’ils font peut nous intéresser, même leur liste de courses ! Bien sûr, les rebondissements sont aussi très importants, mais ce qui rend l’histoire encore plus intense, c’est de les accompagner dans leurs ressentis au cours de ces événements. Du côté des marques, c’est différent car elles n’ont pas de personnages à mettre en scène. Pour réussir leur storytelling, elles doivent nous emmener dans des univers qui nous font rêver. Elles peuvent se choisir des égéries ou des codes particuliers, mais elles doivent surtout nous convaincre par les valeurs qu’elles défendent : nous raconter d’où elles viennent, ce en quoi elles croient et la source de leurs valeurs. 

Comment est né le collectif de romancières #TeamRomCom, dont vous êtes à l’origine ?

Initialement, j’ai contacté des romancières spécialisées dans la comédie romantique pour m’épauler dans la rédaction des contenus de mon site comedieromantique.com. Finalement, ça ne s’est pas fait mais nous avons eu envie de travailler ensemble. Nous avons d’abord publié un manifeste le 8 mars 2015, (journée internationale des droits des femmes), puis avons eu l’idée d’écrire des comédies romantiques de Noël, qui ont été une grande réussite. Au début, c’était un projet de copines qui nous permettait de passer du temps ensemble, car l’écriture est normalement quelque chose de très solitaire. J’avais envie de travailler avec des femmes qui faisaient la même chose que moi, qui se posaient les mêmes questions et qui se battaient pour soutenir une comédie romantique française de qualité. Nous avons grandi ensemble, et aujourd’hui, chacune a beaucoup de succès dans ses projets en solitaire. Nous nous sommes vraiment portées les unes les autres au sein de ce collectif. 

 

*La Saga grands boulevards est composée de quatre romans indépendants qui ont pour cadre le 19bis boulevard Montmartre, un immeuble imaginaire des grands boulevards :

Grands Boulevards

Si tu m’oublies

La Chanson du Rayon de lune

On n’empêche pas une étoile de briller 

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