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Quentin Périnel : « L’entreprise est un formidable terrain de jeu pour observer les êtres humains et leurs faits et gestes »

Quentin Périnel, journaliste au Figaro à Paris le 5/10/2017 Photo Jean-Christophe Marmara / Le Figaro

Comment vous est venue l’idée d’écrire votre livre « 100 expressions à éviter au bureau et ailleurs » ?

Lors d’un dîner chez des amis où la discussion était consacrée au boulot des uns et des autres – un grand classique ! – je me suis rendu compte que chaque invité avait son propre jargon professionnel, ses tournures de phrases, ses expressions alambiquées… Je me suis dit qu’il serait amusant de compiler des éléments de langage de ces novlangues de bureau, ceux qui sont les plus fréquents… et qui irritent le plus les gens. J’ai reçu plusieurs centaines de mails de lecteurs du Figaro qui m’ont suggéré des expressions. Pour le reste, c’est mon entourage qui a été principale source d’inspiration : collègues, amis, relations professionnelles… Il suffit de tendre l’oreille en réunion, moment clef pour entendre les plus belles fantaisies linguistiques !

 

Wellcom est très attachée au sens. Non seulement sens de l’entreprise et de la marque, mais également sens du contenu, sens de la relation avec les parties prenantes… La novlangue actuelle contribuerait-elle à la perte du sens dans l’environnement professionnel ?

Absolument ! On accumule des éléments de langage qui constituent un patchwork très indigeste ! C’est la révolution des mots au bureau, pour le meilleur et pour le pire. Chaque entreprise invente ses propres mots, ses propres intitulés de postes, ses propres espaces de travail… Dans beaucoup de cas, c’est simplement de la décoration. Or, si l’on veut changer, il faut savoir pourquoi. Cela doit avoir du sens. Il n’y a rien de pire que de ne pas savoir ce qu’on raconte et ne pas connaître les objectifs que l’on poursuit. Imaginez un hamster qui court 12 heures d’affilée sur sa roue, et qui finit par s’endormir, épuisé… Transposez la scène dans un environnement professionnel ! C’est une métaphore évidemment, mais un actif qui court toute la journée et s’épuise sans réellement savoir pourquoi, cela n’a pas beaucoup… de sens !

 

D’où vient cette tendance à l’uniformisation de la langue? Y a-t-il un désintérêt général pour les mots ?

Des Etats-Unis et de la Silicon Valley. Une expression présente dans mon livre résume d’ailleurs très bien le phénomène : se mettre « en mode start-up ». Tout le monde veut se mettre en mode start-up. A l’américaine. Cela revient à « disrupter » tout et n’importe quoi, à être sans cesse « out of the box » ! Sans réel objectif. C’est souvent un écran de fumée composé de concepts fumeux. Parfois, le changement est destructeur ! C’est le cas pour la langue. A quoi bon apprendre à parler convenablement enfant si c’est pour tout déconstruire une fois adulte ? La langue française est d’une richesse incroyable : il existe des dizaines de milliers de mots que nous ne connaissons pas, et par ailleurs, nous aimons profondément notre langue. Les Français aiment parler avec un interlocuteur charismatique qui a sans cesse le « bon mot », celui qui fait mouche, qui impressionne et que l’on a envie de retenir pour le répéter ensuite ! Il est dommage que notre attrait – très paradoxal – pour la novlangue « franglo-startuppeuse » gangrène notre amour de la langue française…

 

Certains journalistes ont  tendance à l’adopter, alors qu’on pourrait attendre d’eux qu’ils soient des représentants et ambassadeurs de la langue française. Comment aujourd’hui  évaluez-vous la qualité éditoriale de la presse française ?

Ah, bonne question ! Si vous saviez le nombre de courriers que j’ai reçu à ce sujet ! On m’a dit à de nombreuses reprises « vous les journalistes, vous devriez commencer par vous corriger vous-mêmes avant de corriger les autres. » C’est 100 fois vrai. On ne peut ni critiquer, ni être moralisateur à ce sujet si l’on ne fait soi-même pas attention… Je pense que les dérives viennent surtout des media radio et télé, qui sont des media « parlés », et n’échappent donc pas à la tendance novlangue. C’est en tous cas ceux-là que visaient les centaines de critiques que j’ai reçues. En revanche, j’ai tout de même l’impression qu’à l’écrit (surtout sur le papier), il y a un réel désir d’écrire un excellent français et de respecter ce que nous avons appris à l’école.

 

Vous aimez traiter de sujets liés au monde du travail et de l’entreprise. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans ce domaine ?

Les gens ! Et surtout, la façon dont ils se comportent. Le pouvoir, le charisme, les guerres d’ego, les rapports hiérarchiques, le leadership, le paraître, les failles, les mensonges, et cætera ! Ce qui me fascine – et qui m’intéresse bien davantage que les entreprises – c’est la manière dont nous agissons et réagissons en société. L’entreprise est un formidable terrain de jeu pour observer les êtres humains et leurs faits et gestes. J’aime comprendre pourquoi les gens se comportent d’une certaine manière et pas d’une autre.

 

Dans le « Talk Décideurs » que vous animez au Figaro, vous interviewez régulièrement des patrons, de la start-up à la grande entreprise. Qu’est-ce qu’ils reflètent du monde du travail actuel ?

Ils reflètent un monde du travail qui est en train de se métamorphoser complètement : télétravail, freelances, digital, entreprises à missions… Notre époque est celle du changement. Et de la vitesse. Il est parfois compliqué de tout suivre. J’essaie de varier les personnalités et les univers. Mon objectif est de recevoir à la fois des personnalités bien installées du monde de l’économie et de l’entrepreneuriat (Michel-Edouard Leclerc, Marc Simoncini ou Clara Gaymard) mais également une nouvelle génération d’entrepreneurs et de patrons qui dessinent le futur (Guillaume Gibault, Maud Bailly ou Emmanuelle Duez). Pour choisir mes invités dans le « Talk Décideurs », je ne recherche qu’un seul point commun : ils doivent être inspirants pour l’ensemble des actifs et le grand public.

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