• 12 juillet 2023
  • 3  min

Mohamed Mansouri : Guider les créateurs de contenus vers une influence plus responsable

Début 2023, suite à la dénonciation de certaines dérives dans le secteur de l’influence, deux députés (Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta) ont déposé une proposition de loi visant à mieux encadrer l’influence commerciale. Le 9 juin dernier, ce projet de loi a été adopté par l’Assemblée Nationale. L’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), a pris part aux échanges ayant abouti à cette adoption. Mohamed Mansouri, Directeur Délégué à l’ARPP, revient sur l’enjeu de la responsabilisation des acteurs du secteur.

Mohamed Mansouri

Une véritable volonté de transparence se fait sentir de la part du public des influenceurs. D’où vient ce besoin croissant ?

L’influence est un secteur à croissance très rapide : alors qu’il représentait 9 milliards de dollars en 2019, il est passé à 15 milliards en 2022. Pour 2023, les prédictions dépassent les 20 milliards de dollars. Son poids a plus que doublé en 4 ans, et comme tout secteur jeune, l’influence a besoin d’être encadrée par des règles. Parmi les 150 000 créateurs de contenus en France, nombre d’entre eux n’ont pas toujours conscience d’avoir des obligations. Pourtant, bien avant le vote de la loi de juin dernier, tous étaient déjà soumis au même cadre légal que celui de la publicité. A l’heure où le secteur prend de plus en plus d’ampleur, les communautés exigent de plus en plus de transparence, et il était donc nécessaire d’aller plus loin. La tendance est plutôt encourageante, puisque cette prise de conscience semble se généraliser : selon notre Observatoire de l’Influence Responsable, 27% des contenus commerciaux n’étaient pas identifiés comme tels en 2021. En 2022, ce taux est passé à 17% et en 2023, la transparence continue de s’améliorer.

Que va changer la loi dans le quotidien des créateurs de contenus ? En quoi va-t-elle impacter les agences conseil en relations publics, et les marques ?

La loi adoptée le 9 juin dernier définit la pratique de l’influence commerciale comme celle exercée par toute personne qui mobilise sa notoriété pour communiquer un contenu à titre onéreux (rémunération, cadeau, invitation) afin de faire la promotion d’un bien ou d’un service. Le texte oblige d’abord les créateurs de contenus à afficher une mention précisant la nature commerciale de leur publication. Il propose deux mentions : « Publicité » ou « Collaboration commerciale ». Il faut qu’elles apparaissent pendant toute la durée de la promotion. L’utilisation de filtres ou d’une intelligence artificielle doivent également être précisées. La loi pose ensuite l’obligation de contrat écrit entre l’influenceur et la marque, dès que la rémunération dépasse un certain seuil, afin d’officialiser leur collaboration. Le moyen de protéger les deux parties en définissant les obligations de chacune. Enfin, le texte rappelle que certains secteurs sont soumis à un cadre strictement réglementé pour faire de la publicité (boissons alcoolisées, cryptomonnaies…), ou bien qu’ils n’ont simplement pas le droit d’en faire (animaux non-domestiques, tabac, pronostics sportifs, médecine esthétique, certains produits financiers, etc.). L’agence, la marque, l’agent et l’influenceur sont solidairement responsables des dommages causés au tiers dans l’exécution du contrat d’influence commerciale qui les lie. Chacun endosse donc un devoir de vigilance.

Comment les dérives peuvent-elles être repérées parmi toutes les publications existantes ?

Grâce aux avancées de la technologie et de l’IA, nous pouvons élaborer des algorithmes pour faire remonter les contenus qui utilisent un champ lexical commercial (« J’ai été invité », « Merci à [nom de la marque]», mise en avant d’une marque, etc.). Nous pouvons aujourd’hui analyser près de 45 000 contenus par an grâce à cette méthode. Il est aussi possible d’utiliser des listes précises d’influenceurs si nous souhaitons cibler notre recherche. Après ce premier tri automatique, les juristes de l’ARPP, spécialisés dans le droit de la communication, analysent ces contenus. En cas de non-respect des règles déontologiques, les moyens d’action sont divers : par exemple la saisine d’un jury de déontologie publicitaire (le JDP, composé de membres de la société civile). Côté réglementation, la loi prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exercer l’activité d’influence commerciale, jusqu’à 300 000 euros d’amende et deux ans d’emprisonnement.

Comment mieux sensibiliser les créateurs de contenus à l’influence responsable ?

Ceux qui ne respectent pas la loi sont souvent ceux qui méconnaissent le cadre éthique et réglementaire. Il existe donc un réel enjeu pédagogique de sensibilisation auprès de ces cibles. C’est pourquoi l’ARPP a lancé son Certificat de l’Influence Responsable : un parcours de formation permettant d’aborder les bonnes pratiques du secteur à travers des cas concrets. Destiné à tous les profils d’influenceurs, il se déroule sur une demi-journée et se solde par le passage d’un examen. Ceux qui l’obtiennent s’engagent à respecter les règles qu’on leur a enseignées : dans le cas contraire, l’ARPP leur envoie un message pour les mettre en garde. S’ils réitèrent, ils peuvent se voir retirer leur certificat. Aujourd’hui, 820 influenceurs le possèdent et certaines marques l’ont même rendu obligatoire. Pour elles, c’est un véritable enjeu de brand safety puisqu’elles aspirent à travailler avec des profils sensibilisés aux thématiques éthiques : lutte contre les stéréotypes sexistes, contre le Greenwashing, etc. Il n’y a pas de marché pérenne sans confiance, et les acteurs de l’influence le comprennent de plus en plus. Parallèlement, l’ARPP mène continuellement des actions de sensibilisation : des masterclass et formations destinées à tous les acteurs de l’influence et de la communication publicitaire, mais aussi des campagnes d’éducation sur les plateformes comme Instagram ou TikTok. Celle que nous avons menée avec Meta et l’influenceuse Cassandra Cano a notamment été un succès, avec 31 millions de vues !

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