• 24 juin 2025
  • 4  min

IA générative : repenser nos métiers sans perdre notre esprit critique. Entretien avec Juliette Legrand.

Consultante en communication et transformation digitale, Juliette Legrand observe de près les effets de l’IA générative sur nos métiers et plaide pour une approche responsable.

Juliette, comment qualifierais-tu l’irruption de l’IA générative dans nos métiers ?

  • Pour moi, c’est une lame de fond, à la fois porteuse d’opportunités et de risques. Une transformation puissante qui s’installe progressivement dans nos vies. Les investissements colossaux des géants du numérique et l’implication des États montrent que nous ne sommes pas face à un effet de mode. C’est structurel et global et cela nous concerne tous, états, citoyens, entreprises.

Comme pour toute innovation, rien n’est tout blanc ou tout noir : Les précédentes révolutions numériques ont déjà montré leurs bienfaits et leurs dérives ; l’IA, poussée à grande vitesse avant toute régulation solide, exige elle aussi un vrai sens critique et une approche responsable. 

Et dans ton quotidien professionnel ?

J’utilise l’IA quotidiennement – ChatGPT a rendu mon travail plus rapide et plus ludique. Elle est devenue une sorte de binôme : disponible 24/7, rapide et pleine d’idées (mais aussi peu fiable et biaisée!) Elle m’aide à produire et à tester des idées, à reformuler, à synthétiser. 

Attention : ce confort crée aussi une dépendance. On ne fabrique plus, on supervise. On ne rédige plus à 100%, on corrige. Si le gain de temps est réel, il s’accompagne d’un effort cognitif déplacé. À terme, si l’on n’est pas vigilant, cela peut affaiblir notre esprit critique. Quels résultats cela provoquera-t-il chez de jeunes professionnels qui n’auraient pas encore acquis l’expérience nécessaire pour challenger ces outils ? 

Quels impacts identifies-tu dans nos métiers de communicants ?

C’est la quatrième grande vague que vivent les métiers de la communication depuis le début des années 2000, après la démocratisation d’Internet, les smartphones puis les réseaux sociaux. À chaque fois, les canaux, les contenus et les formats ont changé – du papier au blog, de YouTube à TikTok – et nous, communicants, nous sommes adaptés. Aujourd’hui, nous nous approprions et nous nous adaptons à ce nouvel outil de production et canal de communication.

l’IA nous aide à produire des contenus calibrés plus vite et à réduire le temps passé sur les tâches répétitives. Ce gain de productivité questionne la pérennité de certains métiers. Community manager ? Data analyste ? Rédacteur ? Certains postes sont-ils en sursis ?

Par ailleurs l’IA générative standardise les approches…. Les outils reflètent les contenus sur lesquels ils sont entraînés (des corpus majoritairement américains et en anglais sont utilisés pour entraîner les modèles que nous utilisons en Europe). Par ailleurs, ils ne sont pas dénués de biais. (Demandez à une IA de création d’images de générer un médecin : vous aurez neuf fois sur dix un homme blanc en blouse.) 

En définitive, en ayant tous recours aux mêmes IA entraînées sur les mêmes modèles, ne risquons-nous pas de produire des contenus standardisés ?

Nous devons certes recourir aux IA pour rester pertinents et compétitifs, mais il faut aussi nourrir notre propre créativité et vérifier à chaque usage qu’il fait vraiment sens.

Derrière le gain d’efficacité, souvenons-nous : si la machine uniformise les messages, nous perdons la richesse, la nuance et l’originalité qui fondent la crédibilité de nos campagnes. La créativité n’est pas un luxe, elle est la marque indispensable des bons communicants. 

Et pour les médias justement ?

Sur le front économique, le rapport de force est brutal : Les IA aspirent et exploitent sans autorisation la plupart des contenus journalistiques qui sont pourtant protégés par des droits d’auteurs, ce qui a déclenché une vague de contentieux et quelques accords de licence (en France, seul Le Monde a signé des accords avec OpenAI et Perplexity). À ce jour les articles des 800 autres titres de presse français sont exploités en dehors de tout cadre par les acteurs de l’IA. Pendant ce temps, le trafic des sites des médias se reporte vers les chatbots, les recettes publicitaires s’évaporent, le nombre d’abonnés baisse : pour nombre de rédactions, la survie économique est en jeu.

Côté lecteur, le réflexe se déplace vers des réponses instantanées « tout-en-un » proposées par les chatbots : à la clé gain de temps, mais perte de contexte et d’esprit critique. S’y ajoute un problème de fiabilité : une étude de la BBC montre qu’environ une réponse sur cinq générée par les agents conversationnels comporte des erreurs factuelles ! 

Pour les journalistes enfin, le défi est double : certaines rédactions exploitent les IA pour automatiser leurs tâches (dépêches, traduction, relecture) et redéfinir leur métier autour de la valeur ajoutée humaine — enquête, terrain, narration. Alors que de nouveaux emplois émergent (prompt editor, curateur de sources), certains groupes médias, comme Axel Springer, annoncent déjà d’importantes coupes… 

Les médias sont essentiels au débat public et donc à la démocratie. Une volonté politique forte est toutefois indispensable pour limiter l’influence des géants technologiques et garantir la pérennité et l’indépendance des médias. 

Face à ces constats, quelle posture adopter ?

Ayons une posture de communicants responsables.

  1. Être curieux, questionner, sortir de sa zone de confort, oser remettre en cause la tendance.
  2. Se challenger soi-même, son équipe, ses clients : l’outil IA qu’on s’apprête à utiliser sert-il vraiment nos intérêts ? Est-ce que son utilisation fait sens ? 
  3. Toujours pousser pour plus de transparence, de fiabilité, d’équité dès la conception de nos créations, contenus, proposition.
    • Transparence : annoncer d’emblée l’usage d’IA.
    • Fiabilité : vérifier & revérifier toutes les sources.
    • Équité : attention à ne pas transmettre les biais….
  4. Informer, éduquer, pousser pour plus de régulation ! 

Ces technologies, ne les utilisons pas aveuglément. Interrogeons-nous sur leur finalité et le sens que nous voulons leur donner.

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