• 15 février 2024
  • 3  min

Marc Knobel : éveiller à une prise de conscience citoyenne numérique

Marc Knobel, historien spécialisé dans l’étude de l’antisémitisme et de l’extrémisme, a notamment effectué de nombreuses recherches sur l’évolution des discours de haine en ligne. En juin 2021, il publie Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet aux éditions Hermann.

Bien avant internet et les réseaux sociaux, les discours de haine ont toujours existé. En quoi changent-ils la donne ?

Avant l’apparition d’internet, nous nous informions à travers la TV, la radio et la presse. Devant un téléviseur ou dans un café, les réactions à l’actualité restaient contenues dans un même espace. Alors qu’aujourd’hui, sur internet et les réseaux sociaux, les réactions sont immédiates et totalement désinhibées : là est la nouveauté. Ce qui hier était proscrit et caché, voire même passible de poursuites, se trouve aujourd’hui exposé publiquement. On peut notamment affirmer que des mouvements extrémistes qui étaient en déclin ont retrouvé un second souffle en ligne. Pour certains, on peut parler de véritable renaissance depuis l’apparition des réseaux sociaux, tant le nombre de personnes connectées est important.

Comment expliquer les nombreux torrents de haine qui déferlent en ligne ?

Ce phénomène peut être expliqué en quelques points :

1.L’anonymat et la simplicité du geste

S’il est si facile de publier des messages haineux, c’est que l’anonymat est souvent la règle ! En utilisant des pseudonymes, les internautes se lâchent plus facilement,insultent, diffament et menacent.

2.L’effet d’accumulation

En ligne, l’accumulation de publications violentes a un effet entraînant. D’autant que de nombreux trolls envahissent le débat de messages agressifs, en publiant des commentaires ou des posts sans lien apparent avec les sujets. Par-là, ils alimentent un certain effet de mimétisme.

3.La viralité des débats

Sur les réseaux sociaux, les internautes ont tendance à s’ériger en tribunaux populaires, rendant certaines thématiques virales. Dans ce contexte, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie et le sexisme s’embrasent très facilement.

4.L’impulsivité et l’immédiateté des réactions

Si certains sujets déchaînent les passions (les Gilets jaunes, le pass vaccinal, le conflit israélo-palestinien…), les plateformes comme X laissent peu de place (280 caractères) à l’expression d’arguments intelligibles. Du fait de l’immédiateté propre aux réseaux sociaux, les réactions sont guidées par des biais cognitifs, et sont souvent émotionnelles et impulsives.

5.Eduquer prend énormément de temps 

Alors que les messages haineux sont publiés en masse, les déconstruire prend énormément de temps !

6.Le manque de modération

La modération dont sont chargées les plateformes de réseaux sociaux est insuffisante, voire inexistante.

En quoi est-elle insuffisante ? Quelles sont les sanctions prévues par la loi ?

Sur X (ex Twitter), en 2022, Elon Musk a licencié 1 213 employés, dont 80 % qui étaient dédiés à la modération. En novembre 2023, la plateforme a publié un rapport de transparence sur le sujet. Et les chiffres sont consternants : X n’emploie que 2 510 modérateurs dans le monde pour 364 millions d’utilisateurs (juillet 2023). En sachant que chaque jour, près de 500 millions de tweets sont publiés dans le monde, soit 200 milliards chaque année. Dans l’Union européenne, un règlement a été mis en place en août 2023 pour encadrer ces pratiques : le DSA (Digital Service Act). Il impose certaines obligations aux plateformes, parmi lesquelles la transparence et la modération. Dans le cas contraire, elles risquent une amende à hauteur de 4 % de leur chiffre d’affaires. Récemment, une commission gouvernementale australienne a infligé une amende de 366 742 euros à X pour ses manquements concernant la sécurité liée au matériel d’exploitation et d’abus sexuels sur enfants. C’est la preuve qu’une vraie prise de conscience politique est à l’œuvre. Continuons sur cette voie en obligeant les plateformes à former les modérateurs de façon plus pertinente, afin qu’ils maîtrisent les dernières évolutions et innovations technologiques en date : les risques liés à la création de deepfakes à l’aide de l’IA, etc.

Comment sensibiliser les jeunes générations à l’impact des discours de haine en ligne ?

En 2019, une enquête réalisée par le think tank Renaissance Numérique rapporte que les insultes sur l’apparence physique (34 %) et la pornographie (34 %) sont les contenus les plus fréquemment rencontrés par les jeunes. Les propos racistes arrivent en troisième position (13 %) chez les 11-14 ans et atteignent les 33 % chez les 15-18 ans. Pourtant, ils sont encore nombreux à ne pas savoir comment réagir face à des contenus insultants ! Chez les 11-18 ans, 4 personnes sur 10 ne font rien lorsqu’elles sont confrontées à ce type de propos, soit 42 % d’entre elles. Pour le reste, le signalement semble être un réflexe intégré, puisque près d’un tiers des 11-18 ans dit signaler les messages ou leurs auteurs aux plateformes. Ces résultats prouvent que la citoyenneté numérique des jeunes est un terrain qui reste à construire. Dans ce contexte, il est urgent de les éveiller à une prise de conscience citoyenne et numérique. Pour cela, l’école, les éducateurs mais aussi les parents ont un rôle essentiel à jouer. L’essentiel est de les sensibiliser en les invitant à se méfier de ce qu’ils regardent, à comparer les sources, à signaler ce qui les choque, etc. La prise de conscience constitue déjà un très bon départ !  

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