• 1 mars 2016
  • 6  min

Rokhaya Diallo : « Les réseaux sociaux révolutionnent la communication »

Chroniqueuse dans  « La matinale » de Canal+ de 2009 à 2013, éditorialiste sur iTélé, polémiste sur RTL puis animatrice de l’émission « French Cultures » sur la radio Le Mouv’, Rokhaya Diallo, également essayiste et désormais animatrice de la chaîne BET, est une personnalité marquée par un fort engagement en faveur de causes comme l’égalité et la lutte contre le racisme.

Intervenante régulière de conférences nationales ou internationales, elle est classée en 2013 par le magazine Slate en 36è position parmi les 100 Françaises les plus influentes et figure parmi les 30 personnalités noires les plus influentes d’Europe selon le classement du britannique « Powerful Media ». 

A l’occasion de la récente publication de plusieurs ouvrages et documentaires sur la multiculturalité et la lutte contre le racisme, nous sommes allés à sa rencontre pour connaître sa position sur la façon dont la révolution numérique impacte ces sujets brûlants.

Vous avez été lauréate en 2014, du trophée #LabComWomen*. Comment le digital impacte-t-il aujourd’hui le monde des médias et de la communication selon vous ?
Effectivement, j’ai été lauréate de cette distinction qui a depuis été rebaptisée, les Trophées de la communication digitale au féminin. Je suis assez active sur les réseaux sociaux. Je trouve qu’ils sont une manière de démocratiser l’accès à la parole publique. En France, nous sommes dans le pays de la parole autorisée, les gens qui s’expriment généralement le font parce qu’ils sont reconnus pour leur diplôme ou leur connaissance. On ne tolère pas toujours certaines formes d’expression parce qu’on les considère comme pas suffisamment intellectuelles. Je trouve que les réseaux sociaux sont un peu la réappropriation de la parole par le peuple, et par des gens qui auraient des points de vue qui ne sont pas forcément ceux de la majorité, ou du moins ceux validés par l’élite qui a accès à la parole publique. Cela révolutionne la communication. J’ai participé à de nombreux débats de dénonciation de certains phénomènes qui avaient commencé sur les réseaux sociaux. Souvent ils n’avaient pas été forcément traités par les médias, mais ils le devenaient dès lors qu’ils avaient pris de l’ampleur sur ces plateformes. C’est quelque chose de complètement nouveau.

Je pense par exemple à Virginie Sassoon, cette maman qui s’est aperçue qu’un des devoirs de sa fille émanait d’un ouvrage scolaire dont le propos était complètement sexiste, dans le cliché. Elle a tweeté sur le sujet et ça a fait un tweetstorm énorme, à tel point que les medias s’y sont intéressés, que l’éditeur a dû présenter ses excuses et garantir que la prochaine édition serait corrigée. Le fait qu’une maman puisse s’indigner sur les réseaux sociaux, provoquer l’attention médiatique et engendrer du changement, en soi, c’est une révolution.

Vous avez réalisé un documentaire « Les Réseaux de la Haine », produit par Mélissa Theuriau, sur la façon dont s’exprime parfois la violence sur les réseaux sociaux. Peut-être un peu le revers de la médaille de cette liberté d’expression ? Quelles conclusions en avez-vous tiré ?
J’ai décidé de réaliser ce documentaire après avoir reçu un appel au viol en 2013. J’avais été énormément choquée, et face à cela on ne sait pas trop quels sont les moyens de réponse. Parce que c’est Twitter on a tendance à croire que c’est une zone de non droit… Mais j’ai eu la chance d’être énormément soutenue, j’ai reçu beaucoup de messages et j’ai été accompagnée par un avocat qui m’a aidée à formuler ma plainte. On a retrouvé la personne responsable, il a été convoqué devant les tribunaux et a été condamné.

Donc typiquement, on est ici face au désagrément de l’exposition et de la possibilité d’expression de tous : être exposés à des propos qu’on n’a pas forcément envie de voir ni d’entendre. Je suis cependant, quand même assez vigilante sur la liberté d’expression. En France, on a envie d’effacer les propos qui nous déplaisent, qu’ils soient sexistes, racistes ou homophobes, mais j’ai plutôt tendance à croire que les personnes qui sont justement antisexistes, antiracistes ou anti-homophobies doivent se former pour pouvoir submerger ces propos haineux. Par exemple, en cas de création d’un hashtag négatif, avoir la possibilité de se réapproprier le hashtag pour en faire quelque chose de positif, et finalement ridiculiser les auteurs du message initial en prouvant notamment qu’on peut être plus nombreux à s’exprimer. Ce n’est malheureusement pas encore assez dans notre culture, c’est plus anglo-saxon. Il me semble que vouloir effacer les propos qui nous déplaisent, ou en détourner l’attention n’est pas une solution. Ces propos existent toujours et ils s’expriment ailleurs. Par exemple, le développement de blogs identitaires ou radicaux est lié au fait que pendant longtemps, on n’a pas permis au Front National d’accéder aux media. Ils ont du coup été les premiers à lancer des blogs et aujourd’hui ils sont sans aucun doute plus forts que la moyenne car ils ont été les premiers à appréhender ces moyens, qui étaient pour eux les seuls accessibles. C’est pourquoi il faut vraiment investir tous les espaces, et que les arguments s’opposent de manière équitable pour que le débat soit juste. Si par la suite, on constate effectivement diffamation, appel au crime ou à la violence, les auteurs doivent être punis mais on doit éviter au maximum d’effacer les propos qui nous semblent non conformes à notre pensée ou opinion. On les combat par le débat et par la parole. Je crois vraiment aux vertus du débat.

Au-delà de votre engagement en faveur de causes comme la lutte contre le racisme, vous vous définissez à l’origine comme féministe, également révoltée face à toutes les formes de discrimination… Quel est aujourd’hui selon vous l’enjeu majeur de notre société pour avancer sur le chemin de l’égalité ?
C’est une question très large. « Liberté Egalité Fraternité » c’est la devise républicaine mais je pense que ce qui manque cruellement à la France sont les politiques volontaristes. Il faudrait un ministère en charge de l’égalité qui superviserait toute ces questions, que ce soit contre l’homophobie, contre le sexisme, contre l’handiphobie ou contre le racisme, car c’est un problème majeur en France. On avait un ministère des droits des femmes, devenu un secrétariat d’Etat qui maintenant a l’air de circonscrire le féminisme aux tâches domestiques. Je crois vraiment que la prise en compte politique des questions de l’égalité est fondamentale. Que le gouvernement n’y accorde pas d’importance n’est pas du tout un bon signal.

Concernant plus spécifiquement la question féministe, on peine à prendre conscience du fait que c’est encore un problème. Je fais partie d’une génération qui a le sentiment que les victoires et les grands combats ont été menés par le passé et qu’il n’y a plus grand chose à faire.  Parce qu’en théorie, l’égalité est effective sur le papier, il n’y a aucune discrimination homme/femme formalisée. Dans la pratique, il y a pourtant toujours des écarts de salaire, des violences… Mais comme notre conscience n’est plus aussi aiguisée que dans les années 60-70, on ne se rend plus compte, on a perdu de notre combattivité faute d’être suffisamment conscientes du défi majeur qui reste encore aujourd’hui à relever, à l’heure où il y a encore 95000 femmes qui sont violées chaque année en France. C’est énorme ! Et rien n’est fait contre ça, il y a très peu de femmes qui portent plainte…

Il faut réussir à formuler les problèmes. De nombreuses études montrent que lorsqu’on est issus de minorités, on a moins de chances de s’insérer dans le milieu professionnel ou plus de risques d’être contrôlé au faciès… Concernant le handicap, nous sommes dans un pays fondamentalement hostile à la circulation des personnes en situation de handicap. Prendre le métro en fauteuil roulant ou pour les non voyant c’est très compliqué. Par rapport à l’Allemagne par exemple, la France est très en retard sur cette question.

Après la publication en 2015 de votre première bande dessinée « Pari(s) d’Amies » sur le quotidien de 5 trentenaires parisiennes d’origines diverses, quelles sont vos actualités ? Vos projets ?
Après Pari(s) d’Amis, j’ai publié deux bouquins sortis en novembre dernier. Le premier s’appelle Afro, paru aux éditions des Arènes, qui raconte Paris à travers les personnes d’ascendance africaine qui portent leurs cheveux frisés et crépus naturels. Sur la signification du fait de ne pas être blanc et d’assumer ses cheveux crépus sans les défriser. Le deuxième s’intitule Comment parler de la laïcité aux enfants, coécrit avec Jean Baubérot, sociologue et historien. Ce sont des questions d’enfants et des réponses d’adultes qui donne tout simplement des clés de base sur la laïcité, l’histoire, et ce qu’elle signifie vraiment à l’heure où l’important débat français sur cette question comporte beaucoup de contresens. J’ai également commencé à travailler comme présentatrice sur la chaine BET en novembre au moment de son lancement en France. C’est une chaîne américaine qui a été créée dans les années 80, à l’origine pour pallier le manque d’afro américains à la télévision. En France, elle fait la part belle à la culture afro américaine, en l’élargissant aux cultures populaires et urbaines. Je termine finalement un documentaire pour France O et TV5, De Paris à Charleston, Coupables d’être noirs, qui porte sur la nouvelle génération d’activistes qui s’est réveillée aux Etats-Unis depuis 2 ans, avec les jeunes afro-américains de la génération Y, très engagés depuis la mort de Mike Brown. Un portrait de cette génération avec un miroir sur ce qui se passe en France. Ce documentaire sera diffusé sur France O le 23 mars prochain.

*prix créé par TF1 et LABCOM qui récompense les femmes ayant un profil remarquable, actives et ambassadrices dans le digital

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