• 2 janvier 2012
  • 6  min

Le digital et les relations publics : point de vue de Frédéric Mitterrand

Pour ce premier numéro de l’année, Wellnews donne la parole à Frédéric Mitterrand, Ministre de la Culture et de la Communication, qui apporte un éclairage neuf sur le phénomène digital. Comment expliquer cette montée en puissance du digital, des sites d’informations ? Quels dangers pour la presse papier ? Frédéric Mitterrand nous explique pourquoi ce ne sont pas deux mondes qui s’opposent mais qui se rejoignent et se complètent.
Selon lui, les relations publics maîtrisées font partie de l’alchimie indispensable à la bonne conduite de la politique gouvernementale.

Selon vous, quel avenir pour la presse papier face à la montée du digital ?

La presse est touchée par deux lames de fonds dans les pays où les marchés ont atteint un haut degré de maturité. D’une part, celle des usages face à l’information. Avec le recul nécessaire, on se rend compte que le repli de la lecture régulière du papier est intervenu bien avant l’explosion du numérique et que les questions liées au niveau de lecture de la presse est déconnectée de celle du digital. Si l’on prend l’exemple de la presse quotidienne nationale, entre 1945 et 2005, alors que 16 quotidiens nationaux ferment et que le tirage global recule de 59%, la tendance au repli ralentit entre 2005 et 2010, années de l’explosion du web. Le numérique et le papier ne se détruisent pas, ils enrichissent l’offre en s’adaptant à différents usages. C’est une logique de media, pas de support. L’explosion des usages numériques des générations montantes renforce de manière préoccupante le courant de cette première lame de fond mais on ne peut pas encore dire quelles en seront les conséquences. Cela va dépendre du rythme d’adaptation des structures traditionnelles au nouveau contexte général et à l’évolution des attentes des lecteurs.

La deuxième lame de fond est celle de la dispersion des investissements publicitaires : la presse traditionnelle doit partager un marché qui ne grandit pas avec de plus en plus d’acteurs. C’est le choc simultané de ces deux lames de fond qui déstabilise l’édifice à un moment où la presse, dans une phase de transition, doit engager de lourds investissements pour rester compétitive, modifier ses organisations, repenser l’éventail de son offre de contenu, diversifier ses ressources pour continuer de capter suffisamment de recettes commerciales indispensables au financement de contenus de qualité. Qui a dit que « quand le vent du changement se lève vous pouvez soit construire un abri, soit construire un moulin à vent » ? La presse a des atouts, et elle doit les valoriser : décryptage, analyse, mise en perspective, enquête, reportage sont des valeurs qui ne s’improvisent pas et c’est l’honneur des journalistes professionnels de les porter sur le papier ou sur le numérique.

Ce ne sont pas deux mondes qui s’opposent mais qui se rejoignent et se complètent. Il ne faut céder ni à l’incrédulité, ni à l’aveuglement face aux nouveaux univers numériques. L’irruption de nouveaux acteurs, qui ne répondent pas aux mêmes logiques, est une chance pour la presse traditionnelle. Son ennemi est son meilleur allié car il défriche et montre une voie dans laquelle les acteurs traditionnels peuvent s’engouffrer aussi bien que les nouveaux acteurs. A condition, bien sûr, d’en avoir les moyens, la volonté et la souplesse nécessaires. La difficulté dans l’équation, c’est qu’il ne génère pas les ressources auxquelles la presse était habituée. La plupart des acteurs traditionnels n’ont pas trop le choix, ils doivent persévérer dans la voie de la mutation, de diversification tout en poursuivant la rationalisation de l’exploitation de leurs activités traditionnelles qui assurent encore l’essentiel de leurs revenus. Le mouvement de bascule est à l’œuvre et la mission des pouvoirs publics est de l’accompagner car il ne faut pas que cette bascule soit destructrice pour le pluralisme et la diversité de l’information.

Votre avis sur la place grandissante des sites d’information pure player (type rue89, AgoraVox, slate…) et l’arrivée de nouveaux acteurs comme Newsring, la plate-forme communautaire de débat animée par Frédéric Taddeï ?

Ils ont eu des difficultés à s’imposer dans le paysage des acteurs traditionnels parce qu’ils bouleversent la conception traditionnelle d’un journalisme fait de distance vis-à-vis du public. Mais ce sont des démarches crédibles qui finalement rejoint la conception d’un Hubert Beuve Méry qui disait que « le journalisme c’est le contact et la distance ». Ils ont apporté une nouvelle lecture de la presse d’information, de sa mission, de son rapport au public dans un esprit beaucoup plus interactif propre à celui d’une conversation que le journalisme n’aurait jamais du quitter. Ils réinventent la notion de lien social qui devrait être au cœur de l’activité de tout éditeur de presse. Ils bénéficient souvent d’une identité très forte, d’une légitimité auprès de leur public, et ils brodent autour tout un réseau de nouveaux services dont certains leurs permettent de financer leur cœur de métier : diffuser de l’information de qualité et gagner progressivement leur galon dans l’arène de l’information d’opinion. Quant au buzz du moment, le « social », qui succède à celui de l’instantanéité, je pense qu’il durera, car il est au cœur de l’ADN de l’information. Mais je pense aussi que ce n’est qu’une brique de la maison qu’il faut bâtir, et l’on ne peut compter que sur ce seul atout pour construire une offre complète à long terme et s’imposer dans un secteur où il est facile de se faire rattraper par de nouveaux acteurs et de nouveaux « buzz ». L’important, ce sont les fondamentaux : la force de la légitimité, la création d’un lien d’engagement fort avec son public qui suppose qu’on l’on ait bien identifié et compris les ressorts de son engagement, que l’on mette en œuvre les conditions d’une exploitation économique soutenable indispensable au développement d’une presse libre et indépendante. Le pire serait de créer une nouvelle désillusion qui provoquerai un nouveau repli des professionnels de l’information dans les champs du numérique. Les anciens modèles courent le risque de se déliter rapidement sans que dans le même temps de nouveaux modèles s’installent. Cette période d’expérimentation et de recherche risque de se prolonger et justifie le maintien d’un soutien public important, comme nous le faisons en France à travers la création d’un fonds de soutien aux éditeurs de presse en ligne. Mais aussi en déployant l’environnement réglementaire qui permette de sécuriser la rémunération plurimédia des journalistes. Parallèlement, nous devons progressivement réorienter notre contribution vers d’autres priorités que sont l’innovation, l’apprentissage de nouvelles pratiques.

Quelle est votre perception du rôle des relations publics dans l’action gouvernementale?

Du point de vue de mon ministère, les professionnels de la communication et des relations publics ont joué un rôle déterminant dans l’émergence de la politique culturelle. Ils ont joué un rôle évident dans la notoriété de nombreux artistes, musiciens, écrivains, compositeurs, interprètes, sans oublier le patrimoine et cela a évidemment fortement contribué au déploiement d’une politique publique dans tous ces domaines car mon action n’a pour essentielle finalité que de faciliter la tâche des créateurs. Du point de vue l’action politique au sens large, des relations publics maîtrisées par des professionnels font partie de l’alchimie indispensable à la bonne conduite de la politique gouvernementale. D’abord l’avènement des nouvelles technologies de l’information, la déferlante des réseaux sociaux, les nouveaux enjeux de la désintermédiation, comme pour les médias traditionnels, sont des enjeux pas toujours évident à appréhender pour le politique. Il doit pouvoir se faire accompagner pour éviter de se laisser submerger par le flux technologique et se concentrer sur son action. Les relations publics constituent un outil utile à l’incarnation intelligente respectée et crédible de la parole politique.

Biographie

Frédéric Mitterrand
Ministre de la Culture et de la Communication

Frédéric Mitterrand, né le 21 août 1947 à Paris, est licencié d’histoire et de géographie de la faculté de Nanterre et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris.

Frédéric Mitterrand est tour à tour acteur, scénariste, animateur de télévision, producteur et réalisateur de documentaires et de longs métrages, et écrivain. Des activités professionnelles l’ont, de son adolescence à nos jours, conduit d’un milieu culturel à l’autre pour y exercer de multiples métiers. Des expériences qui lui apportent aujourd’hui une connaissance pointue des artistes et des œuvres ; des personnalités et de leur travail. Autrement dit, une perception aiguisée du secteur culturel dans son ensemble, à travers ses acteurs et son fonctionnement.

Cinéma : De 1971 à 1986, il dirige les salles de cinéma d’Art et Essai Olympic Palace, Entrepôt et Olympic-Entrepôt.En 1981, il tourne Lettres d’amour en Somalie et, en 1995, Madame Butterfly, une adaptation de l’opéra de Puccini.
Télévision : Il produit et anime plusieurs émissions de télévision dont Etoiles et toiles (1981-1986), Acteur Studio (1986-1987), Ciné-Fêtes (1984), Permission de minuit (1987-1988), Etoiles (1987-1992), Destins (1987-1988), Etoile Palace (1990), Du Côté de chez Fred (1988-1991), C’est votre vie (1993), Les Amants du siècle (1993), Caravane de nuit (1994). Il est également producteur de documentaires, dont Fairouz, un reportage diffusé sur Arte (1998) et Je suis la Folle de Brejnev, coproduit par France 3 (2001).
Littérature : Ecrivain, Frédéric Mitterrand a rencontré un important succès avec La mauvaise vie (Robert Laffont, 2005). Auparavant, il a signé notamment Mémoires d’exil (Robert Laffont, 1990), Une saison tunisienne (Actes Sud, 1995).

Il a été nommé en 2000 à la tête de la commission d’avances sur recettes du cinéma français, en 2003 Directeur général délégué chargé des programmes et de l’antenne de TV5 et en 2008 directeur de la Villa Médicis, l’Académie de France à Rome.

Frédéric Mitterrand est Chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur, Officier de l’Ordre national du Mérite et Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres. Le 23 juin 2009, il devient ministre de la Culture et de la Communication.

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