• 21 février 2019
  • 7  min

Fake news : le point de vue du journaliste et du communicant

50 % des Français* se disent capables d’identifier une « fake news » quand ils en rencontrent une… Alors que 20 %** d’entre eux reconnaissent en avoir déjà partagé ! Face à ces chiffres troublants, les médias ont décidé de réagir. France Télévision a lancé récemment « Faux et usages de faux » et TF1 « Factuel », deux sessions dédiées au « fact checking ». Dans ce flot d’émissions et d’informations, comment vérifier l’intégrité d’une source ? Jacques Pezet, journaliste fact checker à Libération, nous répond.

 

Jacques Pezet, journaliste fact checker à Libération

De nos jours, chaque actualité est sujette à la propagation de fausses informations. Comment expliquez-vous cette situation ? Pourquoi davantage maintenant qu’il y a deux ans, alors que Facebook et Twitter étaient déjà utilisés de tous ?

Il est difficile de mesurer s’il y a plus de «fake news» qu’avant, mais ce qui est sûr, c’est qu’on en est plus conscient depuis la campagne américaine et les déclarations de Donald Trump en 2016, lorsque le terme s’est popularisé. Souvenez-vous des « chaînes », ces mails et sms que l’on recevait d’un contact inconnu et que l’on nous demandait de partager, mais aussi de toutes les fausses informations que l’on pouvait trouver sur les forums ou les blogs : le terme « fake news » n’existait pas en tant que tel, mais sa réalité était déjà là. Evidemment, l’effervescence des réseaux sociaux y est aussi pour quelque chose, puisque la parole autrefois réservée à la presse ou aux plus « geeks » d’entre nous est à présent offerte à un plus large public. Le risque de création ou de propagation de mauvaises informations est logiquement beaucoup plus fort. Un phénomène qui rend la vérification d’une information encore plus difficile, mais toujours aussi essentielle.

Je suis un jeune étudiant perdu dans le flou d’informations des sites internet et réseaux sociaux, que me conseillez-vous ? Quelles sont les étapes de vérification d’une source ?

La première question à se poser est « qui parle ? ». « Qui est cette personne ? », « D’où parle-t-elle ou au nom de qui ? », puis on va se renseigner sur le site pour lequel travaille cette personne ou sur lequel est hébergée l’information. Pourquoi ? Pour observer les dernières informations partagées, les derniers articles publiés ou encore les angles de ces articles ou les titres utilisés, afin d’analyser le positionnement de la personne. Par exemple, si je lis un article intitulé « Les vaccins c’est l’apocalypse », l’angle est explicite : la personne est anti-vaccin. Il est fondamental d’aller chercher d’autres sources, d’autres articles de presse ou scientifiques dont les partis-pris sont différents, pour alimenter son esprit critique et ne pas se contenter d’un seul avis. Enfin pour l’intégrité d’une image, il y a des techniques très simples et très rapides. Avec « la recherche d’image inversée » sur Google Image par exemple, on peut en retrouver la source originelle. Une méthode qui permet de faire un tri important dans l’information.

Comment expliquez-vous la création de CheckNews (Libération), des Décodeurs du Monde ou d’AFP Factuel ? Quel est leur rôle, par rapport au « journalisme » déjà existant ?

Fin 2008, Libération a créé Désintox afin de vérifier les dires des hommes et femmes politiques, puisque ces derniers utilisaient de plus en plus d’exemples concrets ou de chiffres à la télé ou à la radio. C’était une manière d’évaluer la parole politique. Derrière, on analyse et on explique s’ils ont tort ou pas. C’était la première vague de « fact checking ». La deuxième apparaît lors des élections américaines de 2016: on ne vérifie plus seulement la parole politique mais les informations qui circulent aussi sur les réseaux sociaux. C’est le cas d’AFP Factuel. L’objectif, c’est la pédagogie, mais c’est aussi une manière de regagner la confiance des lecteurs.

Chez Check News, la cellule de vérification de Libération, on travaille en fonction des questions des internautes, soit autour de 50 par jours. La démarche, c’est de réagir comme un spectateur, de sélectionner un sujet et d’aller vérifier la source. C’est un travail compliqué, car on ne peut pas répondre à toutes les demandes, et il faut en plus faire attention au choix des sujets : si on ne « fact check » uniquement que des personnalités de droite, les individus à la sensibilité de droite prendront cet argument pour nous taxer de subjectivité ou de partialité. L’inverse est tout aussi vrai. C’est pourquoi l’on s’efforce de varier les sujets, les partis politiques, les actualités, etc. Est-ce que les internautes changeront d’avis en fonction de la confirmation ou non de l’information ? Je ne sais pas, et rien n’est sûr. Il est difficile d’avoir cette ambition pour les personnes ayant déjà une opinion, disons « influencée », sur le sujet. Notre objectif, c’est avant tout d’informer de manière fiable.

Finalement, le métier de journaliste a-t-il évolué pour se scinder en deux casquettes : la plume éditorialiste versus le vérificateur ?

Tous les journalistes, de formation, sont des vérificateurs, en tout cas j’espère que tous les journalistes vérifient leurs informations. La spécificité des « fact checkers », dans un contexte de surinformation, c’est de créer des cellules pour décortiquer l’information. Nous appartenons à des rubriques qui peuvent consacrer des articles entiers à un seul fait ou à une seule phrase. Pour les médias ou journaux traditionnels, il peut être parfois difficile d’informer en temps réel tout en ayant le temps de vérifier en profondeur l’information donnée.

Quand une personnalité politique est invitée sur une matinale à la radio ou à la TV par exemple, le journaliste n’a souvent pas les moyens de vérifier instantanément, de contredire, d’argumenter. C’est pourquoi le « fact checking » a été créé, pour pallier le manque de temps et ce manque d’information au moment M. Cela ne veut pas dire qu’il y aurait du vrai journalisme et du faux journalisme : l’éditorialiste donne son opinion lorsqu’un fact-checker s’intéresse aux faits. Ces deux « spécialisations » sont nécessaires. En revanche, il est intéressant de bien montrer la différence entre un « édito » et un article factuel. Dans l’optique de conforter ou redonner confiance au lecteur, ou de faciliter la compréhension des sources, la mise en place d’un code couleur n’est pas une mauvaise idée, par exemple.

Idéalement, les journalistes, tout comme le public, aimeraient pouvoir faire du fact-checking en temps réel, mais en pratique, c’est très compliqué.

Pour bien traiter une information, il faut parfois du temps. Prenons le « buzz » autour du Traité de coopération franco-allemand d’Aix-la-Chapelle : nous avons eu affaire aux fausses informations sur la vente de l’Alsace aux Allemands ou le partage de siège à l’ONU. Le problème, c’est que ces fausses informations sont sorties avant même la publication du Traité. Il a fallu que je rentre en contact avec le cabinet du Ministre des Affaires Etrangères allemand pour obtenir les informations, ce qui m’a pris plus d’une semaine. Les fausses informations ont eu le temps de proliférer partout sur les réseaux sociaux, encore une fois, sans preuve.

Est-ce que la mise en lumière des « fake news » ne va pas redéfinir le métier de journaliste ?

Elle ne redéfinit pas le métier mais met en exergue les problématiques autour de la confiance dans les médias. Pourquoi un internaute préfère faire confiance à « bogossedu33 » plutôt qu’à un journaliste ou qu’à un scientifique ? Comment un journaliste peut-il encore asseoir sa légitimité ? Il faut que nous, journalistes, soyons clairs, précis et objectifs dans la vérification des faits.

Nous ne sommes pas les seules victimes des mauvaises informations. Elles ont aussi un impact sur les entreprises. Face à ce phénomène, comment réagir ? 3 questions à Jean-Baptiste de Bellescize, spécialiste en  communication de crise et membre du Comité Stratégique de Wellcom.

Jean-Baptiste de Bellescize, spécialiste en communication de crise et membre du Comité Stratégique de Wellcom

Si les mauvaises informations sont devenues un quotidien sur les réseaux sociaux, les marques et entreprises en sont souvent les cibles. Quelle est l’ampleur de ce phénomène ? Est-ce nouveau ?

Je préfère parler de rumeurs, car avec le terme « fake news », on se dit que le phénomène est récent, alors que c’est l’intitulé moderne de ce que l’on appelait autrefois des « rumeurs ». Sur ce sujet, il faut partir d’un constat on ne peut plus explicite : on ne prête qu’aux riches. C’est une vérité de La Palice, mais une marque est proportionnellement aussi connue qu’elle s’expose, et à ce titre, elle sera plus ou moins victime de fake news. La rumeur est le corollaire de la réussite ou de la célébrité.

Evidemment, les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène. N’importe quel internaute peut lancer une rumeur et devenir du jour au lendemain porteur d’une information (qui peut être fausse, non vérifiée) lue et partagée par des milliers d’autres internautes. Avant, la parole de l’entreprise et d’un journaliste dominait l’information et descendait en cascade jusqu’à l’individu qui recevait pour comptant le message final. De nos jours, ce message final est perpétuellement remis en question, contredit et contrebalancé par une multitude d’autres sources, opinions ou informations (vérifiées ou non).

Les conséquences sur les marques sont de quelle nature ?

Il existe des exemples connus de rumeurs ou de médisances ayant eu un effet dévastateur sur les entreprises. Avant l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, beaucoup de ses militants et supporters ont appelé au boycott des produits Pepsi. Pourquoi ? Une citation, prêtée à Indra Nooyi, le PDG, qui disait à ces mêmes supporters « d’aller acheter leurs produits ailleurs » que chez Pepsi. Une citation complètement fausse, qui a entraîné une baisse de plus de 30 % d’opinion favorable des Américains envers la marque fin 2016, avec des conséquences sur le cours de son action en bourse pendant plus d’un mois.

Prenons plus récemment le groupe Vinci en 2016. Un communiqué de presse sorti de nulle part annonçait le licenciement de son directeur financier, suivi d’un faux démenti envoyé à tous les médias. Après une rapide chute du cours en bourse, le résultat est sans appel : 7 milliards d’euros de perte pour le Groupe (perte très rapidement récupérée) Les rumeurs affectent fortement l’opinion, et par ricochet la santé économique d’une entreprise. Deux raisons pour lesquelles les entreprises doivent être préparées à « contre-attaquer » à tout moment. C’est le rôle de la communication de crise, entre autres.

A votre avis, quelle est leur meilleure porte de sortie ? 

Il faut mettre les faits sur la table, c’est la seule solution pour contrecarrer une rumeur. Il y a quelques années, je travaillais pour Procter, qui venait de lancer un nouveau shampoing. Une rumeur a commencé à émerger, relatant l’histoire d’une personne qui aurait perdu tous ses cheveux après une utilisation de ce shampoing. La stratégie que nous avons adoptée était simple et efficace : dans un premier temps, un communiqué de presse envoyé à toutes les rédactions avec tous les détails sur notre produit et sur cette fausse rumeur. Dans un deuxième temps, un communiqué de presse avec questions-réponses. Bref, les faits, toujours les faits, rien que les faits, auxquels nous pouvons ajouter la sincérité, l’humilité et l’empathie. Ces rumeurs nous montrent une chose importante sur notre métier : maintenant plus que jamais, mentir est on ne peut plus prohibé.

 

*Etude Ispos publiée en Septembre 2018

**Etude Viavoice publiée en Mai 2018

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