• 5 mai 2016
  • 5  min

Le monde au bout de nos doigts

Que l’on soit enthousiaste ou sceptique devant l’essor de l’industrie digitale, impossible de ne pas observer le phénomène : la mobilité s’est inscrite durablement dans nos modes de vie. Le “sans fil”, terme qui fait maintenant sourire, a généré en quelques années un ensemble de technologies, d’outils et d’usages qui tendent tous vers la même conclusion : notre futur sera nomade.

par Pierre Marilly, chef de projet, agence analogue

Nomadisme 2.0

Mais qu’entendons nous par « nomade » ? Une organisation humaine connectée au Cloud, des individus reliés en permanence à leurs écosystèmes digitaux, des outils qui nous permettent à la fois d’aller plus loin sans pour autant nous éloigner tout à fait… Paradoxal ? Pas vraiment. C’est le propre de cette technologie, que l’on emmène partout, de nous faire nous sentir partout chez nous. Toujours connectés à des services qui étendent notre zone de confort à l’infini, nous sommes tout autant en demande d’informations, de contenus, qu’objets potentiels d’un ciblage permanent, parfois irritant. Analogue explore à grands pas le sujet mouvant de la mobilité…

Le smartphone est devenu l’outil numéro 1 de l’identité contemporaine.

Il y a plus de cartes SIM en service dans le monde qu’il n’y a d’êtres humains. La couverture géographique des services de téléopérateurs approche les 100 % ; où que vous soyez dans le monde, votre téléphone agit comme une balise Argos : vous êtes repérable et joignable à tout moment, de la même manière que vous pouvez accéder à l’ensemble des informations et services disponibles via le réseau. On regarde 150 fois son portable par jour en moyenne. Ouvrir ses SMS, MMS et mails personnels est l’une des premières actions de la journée. Et sur le marché de l’emploi des nouvelles technologies, le développeur IOS ou Androïd talonne de peu le développeur JAVA sur l’échelle de la désirabilité. Faut-il d’autres indicateurs pour prouver l’essor inéluctable du digital mobile ?

Vous êtes ici (et maintenant)

Le smartphone est à la fois un terminal, une télécommande, un moyen de paiement et un outil de partage. Il est devenu l’outil numéro 1 de l’identité contemporaine. Signe des temps, des carrières se gèrent du bout des doigts, depuis les endroits les plus variés ; lorsque le compte Instagram de Lady Gaga compte plusieurs dizaines de millions d’abonnés, Barack et Michelle Obama postent leurs courtes vidéos sur Vine, autre réseau social parangon de la mobilité : contenus courts, viralité immédiate, consommation ici et maintenant d’une information non digérée. Célébrités et politiques ont adopté la légèreté de ton, l’ultra-réactivité et le potentiel de buzz qu’offrent les technologies de la mobilité.

Derniers nés de la culture mobile, Grinder, Tinder et autres Happn ringardisent les services de dating 1.0 en proposant des rencontres basées sur les facteurs croisés de la disponibilité immédiate des participants et leur proximité géographique.

Objet sacré

Auréolé de sa puissance, l’objet smartphone devient une idole, le sceptre de la vie moderne. A minima, c’est un sujet inépuisable de discussion et de débats, attisés par des constructeurs qui se font une guerre des brevets sans merci (voir Apple contre Samsung), et l’objet d’un désir sans fond si l’on considère le volume des ventes : Apple a vendu en 2015 13 millions d’Iphone 6… en un seul week-end.

Le dilemme de la mobilité

Dans la mesure où l’usage de notre smartphone s’étend progressivement à tous les compartiments de notre vie, il est à même de collecter, avec une rigueur de boîte noire, un ensemble de données qui ne regardent que vous, mais que beaucoup aimeraient observer eux aussi. On entre ici dans une zone sensible, celle de la confidentialité des données, de leur usage par des tiers, et des voies qui permettent de les obtenir. Face à cette problématique, on observe deux réactions :

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La confidentialité des données est pour vous d’une importance cruciale : vous vous considérez comme une cible mouvante pour la publicité qui vous sur-sollicite de messages étrangement adaptés à votre profil. Le marketing vous connaît bien parce que vous avez laissé l’accès à vos données, en échange d’un usage gratuit, à des applications diverses (Facebook, Twitter, Google…) qui lui vendent des données statistiques sur votre génération, votre milieu, votre catégorie socio-professionnelle. Il s’ingénie donc à vous proposer sur le chemin du travail, ou sur votre lieu de vacances, les produits dont il sait que vous pourriez avoir besoin. Vous trouvez cela détestable d’être ainsi traqué, vous vous tournez vers les adblockers, la navigation sans traces ou vous vous déconnectez tout simplement.

Éthique de la mobilité

Suite aux alertes légitimes sur l’utilisation abusive des données, des initiatives intéressantes fleurissent : SNIPS par exemple se propose de muscler l’intelligence de nos objets connectés et de nous autonomiser des services qui stockent et exploitent nos données.  Le privacy by design est une notion qu’il faudra encourager si l’on veut limiter les abus d’un marketing trop rarement fin et élégant.

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Pour vous, ce qu’on révèle sur les réseaux sociaux, ou en acceptant les cookies (la plus grande invention du marketing après les coupons de réduction), n’est que l’infime partie d’une personnalité qui reste insaisissable par les algorithmes, aussi puissants soient-il. La technologie libère le monde, démultiplie les potentialités, et si le prix à payer est de donner quelques informations pour utiliser de formidables leviers, c’est de bon aloi. Vous croyez à l’amélioration permanente des services, à l’accélération des relations, à la nécessaire révolution des industries, au choc salvateur. Vous utilisez Airbnb et Uber (parangons de la mobilité).

Le bénéfice de ces nouveaux services dépassant les éventuels dégâts qu’ils causent, vous êtes un agent du changement vers le mieux. D’ailleurs, preuve que les nouvelles applications ne détruisent rien qui ne soit déjà en état de décomposition, Uber n’a jamais percé au Japon, où les taxis avaient déjà atteint une qualité de service remarquable.

La mobilité et le retour du local

Notre capacité à atteindre n’importe quelle donnée, de n’importe quel endroit et à tout moment, balaye les traditionnels repères de l’espace-temps. Le temps du « un temps pour chaque chose » disparaît progressivement d’une immédiateté riche en opportunités. C’est aussi vrai pour les services qui orchestrent, de l’autre côté du miroir-écran, la présentation des informations. Les marques peuvent nous tracker précisément, recevoir nos feedbacks en temps réel, en tenir compte pour affiner leurs propositions. Les algorithmes de Google sont désormais tendus vers le local, c’est-à-dire vers la proposition d’une solution à proximité de l’endroit où l’on se trouve. Le business model googléen placera à partir de maintenant la notion de mobilité au centre de ses préoccupations…

Google a décidé que l’information per se (en soi) est moins importante que l’information hic et nunc (ici et maintenant).

Et les contenus dans tout ça ?

La disponibilité d’un lecteur aux contenus est-elle la même selon qu’il est dans le métro entre deux rendez-vous, ou dans l’avion entre deux pays ? L’adaptation aux rythmes de son audience ne doit-elle pas être une valeur cardinale du media ou de la marque ? Si Twitter, Facebook et autres Snapchat, champions des contenus concis, occupent le devant de la scène des valorisations boursières, la lecture approfondie a-t-elle disparu de la scène ?

Probablement pas ; les façons de lire ont été décuplées par la mobilité. Mais il va falloir travailler fort pour captiver votre lectorat sur des durées longues. Le texte est abordé désormais comme un objet non-linéaire. On y entre par où on le souhaite, et on en ressort de même. Des illustrations l’amendent, ouvrant des pistes visuelles inexplorées. Des liens nous emmènent vers des approfondissements bienvenus. L’hypertexte est au coeur de la stratégie éditoriale, allongeant ou écourtant la lecture selon notre propre rythme, nous lecteurs dont l’attention fluctue au gré des nombreuses sollicitations… de nos smartphones.

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